Carte blanche

Carte blanche à Camille Guichard, photographe écrivain

L’image par l’image propose une rencontre avec un artiste passionné de peinture et de sculpture, mais aussi  d’architecture, de théâtre, de danse,  il écrit des fictions et réalise des documentaires de création. La photographie fait partie de sa vie depuis longtemps et devient une pratique à part entière  depuis quelques années. Commençant maintenant à montrer ses premières séries, l’auteur a accepté de se livrer un peu et nous dévoile quelques images de sa série « Il regardait sa femme comme si elle était son amante  » avant même sa première exposition.

Camille Guichard a répondu aux questions de l’image par l’image

Quand (et comment) avez-vous commencé la photographie ?
L’image et l’écrit ont toujours été présents dans ma démarche artistique et intimement liés. Je réalise des documentaires de création (James Ellroy, Louise Bourgeois, Duane Michals pour ne citer qu’eux) et parallèlement j’écris des scénarii de fiction et des romans. La photographie m’accompagne depuis mon adolescence, et date du jour où mon père m’a offert son appareil photo. En quelque sorte la photographie m’a précédé, puis m’a accompagné pour devenir aujourd’hui ma principale démarche artistique avec l’écrit.

Au départ, j’ai appris la technique par moi-même, en me focalisant sur des prises de vue des quais du port de commerce à Nantes. Le décor avec ses grues métalliques, ses empilements de troncs d’arbres exotiques, ses bateaux amarrés en file indienne, a été mon lieu d’apprentissage. Là, j’ai exploré la lumière et le cadre, le tirage argentique dans le laboratoire d’un ami. Les techniques évoluant, je me suis tourné vers le numérique, aussi bien en photo qu’en film…

Qu’est ce qui vous anime ?
La nécessité d’explorer un sujet fait partie intégrante de moi,  belle endormie qui soudain se réveille. Le dialogue peut alors commencer. Les idées fusent : il s’agit d’expérimenter, de tenter, de raturer et de recommencer. Choisir les bonnes photos, pour enfin maîtriser la série. Je travaille souvent sur plusieurs sujets en même temps, chacun d’entre eux avançant à son rythme propre. C’est parfois frustrant par manque de temps, alors je joue à l’équilibriste. Mais travailler sur plusieurs séries me permet d’avoir du recul sur leur réalisation et de ne retenir que  l’essence même du sujet. Il arrive qu’un projet nourrisse l’autre ou l’anihile. C’est un peu la même chose en fiction : deux personnages peuvent finalement se fondre en un seul.

Comment choisissez-vous vos thèmes photographiques ?
Le corps et la nature sont mes principales sources d’inspiration liés à la passion, au désir, à la disparition, à l’altérité, au rapport à l’espace. Pour Ces rivages perdus, la série sur l’érosion du littoral (initiée lors de la Masterclass l’Oeil de l’Esprit), je parle de notre propre disparition à travers la destruction d’une forêt en bordure de mer, ravagée par les vagues et les tempêtes. Avec Il regardait sa femme comme si elle était son amante, il s’agit de la transformation du corps, d’amour et d’épuisement. Plus récemment sur Deux ou trois choses que je sais de vous, une série conçue et réalisée à l’hôtel Ryad à Marseille, la fiction se mêle à la réalité. J’aborde les clients et leur demande de me laisser entrer dans leur chambre pour les photographier, retenir un moment de leur intimité et de leur passage dans ce lieu. Une fois la prise de vue terminée, je demande à chacun, un mot, une phrase qui caractérise ce moment. À partir de là, j’écris une courte fiction. Une manière de retranscrire les sensations que j’ai ressenties au cours des séances photographiques, de dire que l’intimité est celle que l’on veut bien dévoiler, elle peut être apparente, trompeuse, mystifiée, voire mise en scène.

Pouvez-vous nous éclairer sur votre processus de création et leur réalisation ?
Pour moi, la photographie est un exercice qui s’apparente à la performance. Je  photographie jusqu’à épuisement. C’est physique. Dans ma série sur la disparition du littoral, j’ai arpenté pendant un an la même zone du territoire, la pointe sud de l’île d’Oléron, là où l’érosion est la plus forte d’Europe. Je l’ai exploré dans ses moindres recoins, revenant photographier les arbres, abîmés, arrachés, à moitié ensevelis, à marée haute et basse. Je photographie les paysages comme s’ils étaient des métaphores d’un monde plus profond, « non comme ils sont », dirait Minor White, le grand photographe américain de l’après-guerre, « mais tel que je suis ». Par la photographie, j’expose mon ressenti, l’émotion qui m’étreint au moment où j’appuie sur le déclencheur.

Dans l’autre série Deux ou trois choses que je sais de vous, ma démarche photographique était également très physique. Des heures d’attente, de refus, de discussions, d’hésitations, de renoncements pour aboutir à quinze portraits. Ne jamais lâcher, exiger toujours plus, font partie inhérente de mon processus photographique.

Ensuite, le travail est plus serein, je retravaille les photos avec Adobe Photoshop. Je retrouve la solitude de l’écrivain devant l’ordinateur, c’est une nouvelle phase d’expérimentation qui commence où la forme artistique se peaufine. Et la dernière étape que j’aime beaucoup est le dialogue avec le tireur photo dans un laboratoire, qui n’est pas sans me rappeler les heures passées avec un étalonneur sur mes films.

Comment alliez-vous photographie et écriture ?
L’écriture intervient à différents moments de ma création. Elle est essentielle dans l’élaboration de mes photographies. Elle peut être le déclencheur des images, je commence par écrire un texte court, une nouvelle ou une poésie et mon travail photographique s’en nourrit ou au contraire, le texte se mêle à l’image, s’inscrit en elle. Les deux alors coexistent naturellement. Et puis parfois l’image devance le texte comme si ce dernier était caché en elle et à un moment il surgit et se révèle. Quoi qu’il en soit, l’écriture est en dialogue constant avec l’image, et inversement.

Des expositions en préparation / des éditions ?
Je me consacre à la photographie depuis quelques années, ayant surtout réalisé des films et écrit des scénarii et des romans jusqu’à présent. Mon désir a été de réaliser des séries avant d’envisager de les exposer. Aujourd’hui, je suis prêt à les montrer et je commence à chercher des lieux d’exposition. Côte édition, la série « Il regardait sa femme comme si elle était son amante », va être éditée : un livre composé de 34 photos qui se suivent en un long plan séquence. Le livre se conclue par une fiction qui raconte l’histoire romancée d’un modèle sous les yeux d’un photographe écrivain.

Extrait :
« Jamais ils ne se sont parlés de leurs impressions après les séances,

Jamais ils ne se sont donnés de directives avant,
Ils ont toujours gardé secret les émotions qu’ils ressentaient pendant les prises de vue, un kaléidoscope de sensations sans cesse renouvelées, comme si le fait de les énoncer les dépouillerait de leur singularité, de la rareté de leur échange,
Elle lui demanda un jour pourquoi il lui faisait refaire régulièrement des poses, jusqu’à s’en étourdir.
Il lui répondit en citant Degas : Il faut refaire dix fois, cent fois le même sujet. Rien en art ne doit ressembler à un accident, même le mouvement. »

Sur quoi travaillez – vous en ce moment ?
Depuis quelques mois, j’entreprends un travail sur l’autoportrait. J’utilise mon corps pour le photographier de manière fragmentaire et en restitue des figures picturales. Je l’exorcise pour retrouver un désir de liberté.

@philippe matsas

Après des études supérieures en mathématique, Camille Guichard réalise de nombreux documentaires de création sur la peinture, la sculpture, le théâtre, l’architecture et la danse contemporaine, ainsi que des courts métrages de fiction. Parallèlement à ses activités de réalisateur, il mène celles de scénariste, notamment à la télévision et au cinéma, et d’écrivain. Son premier roman Vision par une fente est édité chez Gallimard, son dernier roman Pique-Nique, au Mercure de France. Nominé aux César du meilleur court métrage, il est lauréat de la Fondation Beaumarchais, de Sources et finaliste du Grand Prix du meilleur Scénariste Sopadin. Il a été également intervenant en écriture scénaristique au CEEA (Conservatoire Européen de l’Écriture Audiovisuelle) et à l’ENS/Ulm.

Parallèlement à son travail d’auteur et de réalisateur, Camille Guichard fait de la photographie. Depuis deux ans, il a participé à plusieurs PhotoMasterClass et a trois projets en cours : « Il regardait sa femme comme si elle était son amante »,  « Ces rivages perdus »et  » Deux ou trois choses que je sais de vous »
Actuellement, il prépare une autre série « Autoportraits » au sein de la Masterclass l’Oeildeep.

Sa filmographie est impressionnante  et comprend entre autres les titres suivants : James Ellroy ; Vu d’Afrique : Marcel Barcelo 3ème prix au Festival Cinémad’art de Barcelone ; Tumulte ; A propos de l’internationale situationniste ; Robot portrait de Jacques Vaché ; Ornamento ; Nature & Nature sélection FIFA ; L’arpenteur Céleste ; Empreintes Nominé aux Césars ; Les ombres du péché Mention spécial danse au FIFA de l’Unesco ; Louise Bourgeois ; Préault et la sculpture romantique ; Spoerri Sélection FIFAP; Denise René ; Daniel BurenSélection FIFA et prix FIFAP de l’Unesco ; François Morellet sélection FIFA et FIFAP; Le saut de l’ange Primé au festival de Montecatini, Bruxelles, Saarbrüken, Sarre-Lor-Lux, Le Mans ; Stella Baruk ; Master Class de théâtre musical russe ; Stella Baruk ; Duane Michals, the man who invented himself Mention Spécial du Jury FIFA Montréal. Festival de Pittsburgh, Philadelphie, Sao Paulo, New York, Florence, Le mystère Ettore Majorana, un physicien absolu Festival Pariscience, Marrakech, and Festival dei Popoli.

Ses romans et textes : PIQUE-NIQUE, roman, Éditions Mercure de France ; LE REPENTIR, roman, Éditions 00H00 ; LES VOISINS (nouvelle ; Éditions du Musée des Beaux-Arts, Chartres) ; GEORGES AUTARD (Texte exposition, Éditions Muntaner) ; LES OMBRES DU PECHE (nouvelle, Tel Quel/Gallimard) ; VISION PAR UNE FENTE, Roman, Éditions L’infini/Gallimard.

Ses scénarii de fiction comprennent entre autres : MERVEILLE de Jennifer Alleyn, COUP D’ECLAT de José Alcala, AMOURS A MORT d’Olivier Barma, MEURTRES A PONT-L’EVESQUE de Thierry Binisti et des épisodes de séries comme ENQUETES RESERVEES, DIANE FEMME FLIC, etc

Instagram camilleguichardauteur

 

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