Installation, performance, photographie ? Laura Bonnefous, « une amoureuse des objets » nous propose une pratique sculpturale de la photographie. Sa photographie plasticienne met l’accent sur les espaces qu’elle rencontre et ceux qu’elle recrée en studio. Inspirée par les relations des hommes avec les espaces et les formes de notre paysage contemporain, elle s’inspire des objets qui nous entourent pour créer ses propres espaces, plus personnels, plus métaphoriques.
Les images qu’elle réalise nous amènent dans un univers où les formes sont renversées, où les personnages sont actionnés par les objets, où les mythologies sont inversées. Elle crée des projets photographiques en volume et se rapprochant de la performance.
L’image par l’image a été séduite par cette archéologie de nos codes contemporains au travers des images à la fois épurées et incisives de la photographe.
Laura Bonnefous a répondu aux questions de l’image par l’image
Quand et comment avez -vous commencé la photographie ?
Mon attachement pour l’art et les arts plastiques existe depuis toujours. Dès mon plus jeune âge je développais déjà une passion pour les constructions en tout genre, je fabriquais des structures, imaginais des espaces. J’ai toujours été attirée par ce qui m’entourais, j’aimais me l’approprier et me réinventer des histoires imaginaires. D’abord support documentaire à la création de mes travaux en volume pendant mes années d’études aux Beaux Arts de Paris, j’ai commencé à photographier, au gré de mes voyages, toutes sortes de formes crées par l’homme dont certaines devenues obsolètes, dénuées de sens. J’appelais ce dictionnaire d’images, les « Formes Silencieuses ». Puis petit à petit et suite à mon séjour d’études à Los Angeles, ma pratique photographique est devenue un medium à part entière pour complétement se renverser et laisser place à la photographie que j’ai instinctivement traitée de manière sculpturale. La photographie ne formait plus la base de mes installations mais les installations devenaient le processus de construction de mes photographies.
C’est devenu une manière pour moi de développer mes recherches sur les relations que l’homme entretient avec son environnement car je pouvais y introduire le corps et le mouvement. Installation, performance, photographie, des médiums que je croise en permanence dans chacun de mes projets aujourd’hui.
Qu’est ce qui vous anime ?
Je suis une amoureuse des objets. J’aime me saisir de ce réel pour le transposer, le dénuder de son sens commun puis me le réapproprier et le transposer dans un paysage plus mental, plus onirique. Je dessine à partir des objets d’infinies possibilités de les transformer afin d’entrevoir le monde différemment. C’est en quelque sorte une transposition poétique de notre quotidien. Aussi les contours, les vides, les pleins, m’inspirent et m’animent plus que tout, c’est finalement les choses les plus simples qui deviennent souvent les matières premières à mes expérimentations et mes créations plastiques. Chaque expérience simple de la vie devient alors source d’inspiration, comme l’ a été le collectif Fluxus qui défendait l’idée de l’art et la vie comme terrain d’expérimentationt, tout comme les travaux littéraires de personnages comme Perec, Barthes ou Queneau qui questionnaient l’objet dans sa forme la plus essentielle.
Le vêtement en est l’exemple même, j’aime lier la mode à ma pratique artistique car elle est pour moi une excellente source d’expérimentation de notre relation au corps et au temps qui passe. La vie est finalement mon terrain de jeu, elle m’anime dans sa forme la plus simple et j’aime la transposer hors du réel. «Vivre c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner».(extrait de Espèces d’Espaces)
Comment choisissez -vous vos thèmes photographiques ?
Je n’aime pas l’idée d’une thématique de travail ni de « type » de photographie, je mélange les médiums et les genres et c’est en cela que mon travail se nourrit chaque jour. Je suis assez instinctive dans mes travaux et peux trouver l’inspiration dans des situations de vie très simples. Ce qui lie l’ensemble de ma pratique est ce fort lien à l’espace et à la poésie. L’aspect sculptural et pictural de mes recherches en découle ainsi que la direction surréaliste vers laquelle je tente d’aller dans chacun de mes projets. Je n’appartiens pas à une famille d’artistes en particulier et cela me plaît plus que tout. J’aime à croiser mes projets personnels et de commande, à introduire différents médiums tels que la performance ou la littérature dans chacun de mes travaux, j’aime cette liberté de champs d’action qui me permet de ne pas m’enfermer.
Pouvez -vous nous éclairer sur votre processus de création et leur réalisation?
Comme je l’expliquais précédemment je m’inspire du réel mais je ne le traite pas sous sa forme première. Mon processus de création s’apparente plus à celui d’un plasticien ayant pour base un white cube plutôt que celui d’un photographe qui capture l’instant. Je ne capture pas l’instant je cherche plutôt à le recréer, à le rejouer, à le défier d’une certaine manière… Mes projets naissent après des recherches écrites et de nombreux croquis préparatoires, je construis mes images par l’espace, les volumes et la matière brute. C’est par l’agencement, la tension, l’équilibre et les couleurs que naissent mes images. Et c’est dans cet équilibre fragile que l’instant vient se produire, une seconde où la réalité s’envole que je tente de capturer dans chaque image. Mes prises de vue deviennent un chantier d’expérimentation, un laboratoire ou les objets s’envolent, les gestes se renversent et ou tout attachement aux règles s’efface. C’est par cette poésie que j’aime parler du monde et il n’est pour moi pas écarté d’y projeter un message politique, seule la manière de le montrer diffère.
Vous répondez aussi à des commandes, quelle est votre relation avec cette pratique ?
Le travail de commande fait partie intégrante de ma pratique et il vient parfois même se mêler à mes travaux personnels. Il m’arrive souvent de travailler avec des créateurs sur un projet de collaboration ou nos univers se mélangent pour créer un projet commun qui dépasse complètement la demande et devient une entité artistique propre. J’aime travailler entourée et je trouve extrêmement intéressant de questionner à la fois mon univers à celui d’une marque, c’est pour moi un exercice très enrichissant. Les problématiques posées à travers le travail de commande croisent souvent mes réflexions sur l’objet, sur sa fonction, aussi j’aime projeter mon regard à travers celui d’une marque. Le travail de commande laisse plus ou moins de champs d’action et de liberté au photographe, cela dépend évidemment des projets mais j’ai jusqu’à présent eu la chance de pouvoir me projeter réellement dans mes différents travaux en collaboration avec des marques. Des commandes pour lesquelles les clients et agences ont fait appel à l’identité propre de mon travail et dans ce cas, c’est un réel plaisir et une expérience enrichissante.
Quelle vision avez -vous des marques aujourd’hui et de leurs relations avec la photographie ?
Cela dépend des univers et des domaines d’activités mais malgré les contraintes toujours plus présentes de communication et de budget, certaines marques et agences se permettent de belles propositions créatives qui sont pour nous photographes de réelles opportunités. Comme je l’ai évoqué précédemment, c’est un exercice très enrichissant que de développer un travail en étroite collaboration avec une marque et de faire se croiser l’univers de l’artiste avec celle-ci. Ces collaborations sont possibles chez ceux qui osent des pistes de communications novatrices et qui tentent de sortir des sentiers battus.
En terme de contenu créatif la photographie évolue aujourd’hui vers de nouvelles formes telles que les gifs, les cinémagraphes ou les films courts qui sont de plus en plus demandés par les marques. Ces contenus sont le plus souvent réalisés par une même personne afin de rendre l’univers visuel cohérent dans son ensemble. Nous sommes donc amenés à élargir nos pratiques à ces médias afin de pouvoir répondre à ces nouvelles demandes. Je trouve cela extrêmement intéressant car le photographe en vient à développer de nouveaux moyens d’expression à travers son regard aiguisé à l’origine par le cadre de l’image fixe. Pour ma part les réflexions sur l’évolution de ma pratique photographique m’ont très vite amenée à réaliser mes premières expériences en temps que réalisatrice et j’ai ressenti une vraie libération quand aux nombreuses possibilités d’expressions qui s’ouvraient à moi de part ces différents nouveaux médiums.
Des expositions ? vous travaillez sur quoi en ce moment ?
Je travaille actuellement sur différents nouveaux projets, en commande, en projet personnel et même deux autres projets transversaux en collaboration avec des marques ou acteurs créatifs.
Après avoir réalisé mon premier film court au printemps 2017 actuellement diffusé sous différents médias tel que Nowness, le magazine Numéro ou encore Fashion TV, je travaille sur mes premières commandes en vidéo et sur un nouveau projet de carte blanche. Ces nouveaux projets me permettent d’expérimenter de manière concrète une certaine temporalité qu’implique le film face à l’espace et aux formes que je questionne et appréhende depuis plusieurs années dans mes images. Ce nouveau projet aura d’ailleurs pour mot d’ordre une expérimentation sur notre relation au temps qui passe, celui-ci transposée dans un univers qui en dessinera et redéfinira ses trait plastiquement et émotionnellement.
Quand à la photographie, de nouveaux projets personnels sont en cours tel qu’une série entre expérimentation sur un territoire et introspection de celui-ci par le portrait et le vêtement. Une collaboration avec un célèbre créateur de mode viendra peut être enrichir et supporter le projet, ce serait pour moi une nouvelle occasion de transversalité dans mes recherches. J’aimerai développer autour de ce projet une nouvelle manière de montrer un projet, sortir de l’exposition classique des tirages le temps d’un instant…
Affaires à suivre …
Laura Bonnefous est photographe, elle vit et travaille à Paris. Pendant ses cinq aux Beaux Arts de Paris, un an au Otis College of art and Design de Los Angeles, deux ans à l’Ecole des Gobelins et de nombreux séjours à l’étranger, elle développe sa pratique plastique qui s’articule aujourd’hui entre séries personnelles et travail de commande. Ses projets se veulent d’ailleurs transversaux mêlant installation, mode, performance, sculpture et picturalité.
Elle réalise des expositions, résidences et concours en France et à l’étranger comme le 104 à Paris en 2009, la Cité Internationale des Arts, le festival de photographie de Arles ces trois dernières années, le Musée d’art contemporain de Bangkok, le Onishi Studio au Japon ou le parcours Saint Germain. En 2014, elle compte parmi les finalistes du Prix Picto et de la Bourse du Talent. En 2015 elle rejoint les 30 Under 30 Womens Photographers, remporte la Bourse du talent #63 exposée fin 2015 à la BNF. Elle est aussi Lauréate du Prix Picto 2015 et du Prix Spécial des Directeurs de création. En 2016, elle compte parmi les lauréats du Prix du club des directeurs artistiques et des photographes européens sélectionnés pour le festival des Voies Off à Arles. Plus récemment elle est finaliste du Prix de photographie de l’Académie des Beaux arts et a réalise son premier film court diffusé en exclusivité sur NOWNESS puis le magazine Numéro au printemps 2017. Elle présente en parallèle Périphéries Intérieures, une exposition personnelle pour le Mois de la Photo du Grand Paris 2017 et Out of Line à la galerie de la Fontaine Obscure à Aix en Provence. Elle a exposé Périphéries Intérieures à la Galerie de la Fnac des Ternes à Paris.
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