Charlotte Mano est une exploratrice de l’image et de l’intime. Découvrir ses portraits qui se révèlent au toucher de la main ou au séchoir électrique est une expérience très troublante. Son travail photographique se déploie autour de souvenirs de personnages, de paysages, de sensations, et ne cesse de questionner l’image : son pouvoir de représentation, de transparence, mais aussi ses propres limites. L’atmosphère est contemplative et un brin nostalgique. Ses influences sont variées : de la littérature fantastique du XIXème siècle à la peinture symboliste et surréaliste chinoise contemporaine en passant par des photographes contemporains comme Oscar Muñoz. Elle dit de ses images que « les sujets sont figés, intemporels, uniques et précieux, telle une véritable peinture. L’image par l’image a découvert son travail à GOBELINS, l’école de l’image avant de la revoir au festival Circulation(s) où elle expose actuellement, et espère vous faire découvrir un talent prometteur.
Charlotte Mano a répondu aux questions de l’image par l’image :
Quelles ont été vos débuts en photographie?
J’ai grandi dans un petit village dans le sud-ouest près de l’océan. Nous vivions constamment dehors avec mon frère et mes cousins. Nous n’allions pas au cinéma, la télévision et internet sont arrivés assez tard : la photographie également. Mon père avait acheté un caméscope pour nos prochaines vacances. Nous étions tous fascinés. Un après-midi où il travaillait, je le lui ai « emprunté » et j’ai commencé à me filmer nue dans la forêt derrière la maison. Je marchais et dansais dans le cadre et hors champs : j’étais naïvement fascinée par l’idée de la « capture » et de l’enregistrement que je garderai tout le temps près de moi. La suite fut plus prosaïque, mon père découvrit la vidéo et, choqué, m’interdit formellement d’utiliser sa caméra, brisa la cassette et je fus punie. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre ce que j’avais pu faire de mal. A mes 18 ans, mon frère m’offrit mon premier appareil photo.
Qu’est ce qui vous anime ?
La conviction viscérale que j’ai des choses à exprimer avec la photographie. L’image est silencieuse, évocatrice et plurielle pour chacun qui la voit. Elle a ses propres secrets que moi-même j’ignore et que le visiteur me dévoile parfois lors de conversations. Elle a quelque chose de mystique : par le vocabulaire de la photo comme « médium » « miroir » « capteur » « révélateur » « chambre noire ». Elle m’échappe aussi parfois, comme une « chose » insaisissable qui se baladerait dans l’air. Exprimer mon univers intime, comprendre mes sentiments et les traduire en image, c’est-à-dire rendre visible l’invisible m’anime complètement. J’aimerais d’ailleurs beaucoup, outre mon travail personnel et de commande presse, partager mon expérience et ma passion de l’image dans des écoles. Enseigner ou faire des workshops est un objectif à court terme qui me rendrait très heureuse.
Comment choisissez-vous vos thèmes photographiques ?
Ma sensibilité me pousse naturellement vers l’humain, l’intime et plus largement la représentation. Je photographie ma famille, mes amis, moi-même, en studio (lieu neutre) ou dans mon village d’enfance. Les évènements de ma vie sont très liés aux séries produites. La série « Portraire » dernièrement exposée à la Bnf montre mes amis tels des peintures, en grand format. Ils occupaient une grande place dans ma vie au moment des prises de vue : je voulais une représentation troublante pour eux. La série « Blind visions » images thermiques noires où le regardeur doit poser ses mains sur l’image pour dévoiler les portraits de ma famille. Famille volontairement aveuglée et à l’allure fantomatique, qui représente ma relation difficile avec eux : métaphore d’êtres errants ensemble, sans vraiment se connaître, où la place du regardeur est centrale : sans lui les images ne sont pas révélées et mon intime reste caché sous cette substance opaque noire. Bref, vie et photographie vont de pair.
Pouvez-vous nous éclairer sur votre processus de création et leur réalisation ?
Il n’y a pas de règle dans le processus de création si ce n’est l’expérimentation. Je mets beaucoup de temps à trouver « le truc » qui exprimera au mieux mes images mentales. Le procédé thermique a mis un an à voir le jour car je ne trouvais pas la bonne combinaison chimique. Idem pour les voilages de la série « Portraire ». Je tiens à ce que tout soit fait à la prise de vue pour qu’elle devienne elle-même une expérience pour le modèle. Dans un studio par exemple, je tamise volontairement les lumières ou photographie dans le noir, je choisis des musiques spéciales pour que l’on entre dans une ambiance d’introspection. Photographier est pour moi de l’ordre du rituel.
Sur quoi travaillez – vous en ce moment ?
A la suite d’une invitation de la galerie du Château d’Eau de Toulouse, j’ai entamé en novembre dernier un programme d’initiative européenne qui met en relation les institutions, les curateurs et les photographes émergents. Son nom : PARALLEL – European Photo Based Platform (http://parallelplatform.org). Avec l’aide d’un curateur de renom (Alejandro Castellote – Photo Espana) j’ai donc entamé une nouvelle série « Thank you mum » qui traite de la relation fusionnelle d’une mère et sa fille lorsque celle-ci apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable.
« Thank you mum » sera donc prochainement exposé au Format festival (Derby QUAD, http://www.formatfestival.com) en avril puis poursuivra sa route à Zagreb en septembre pour le festival international OrganVida . Sans doute le projet photographique le plus important que je n’ai jamais produit.
Votre actualité ?
J’expose actuellement la série « Blind visions » au 104 durant le festival Circulations jusqu’au 4 mai. Et prochainement, à la Maison de la photographie de Lille, dans le cadre de la Bourse du Talent avec la série « Portraire ».
Après un double cursus de Lettres modernes et de communication culturelle, Charlotte intègre l’école des Gobelins où elle sort dans les majors de sa promotion en 2017. La jeune artiste a remporté la Bourse du Talent 2017 avec sa série “Portraire. Après l’avoir montrée dans l’exposition Fragilités à la BNF (Paris) terminée le 4 mars, elle sera visible à la Maison de la Photographie (Lille) du 7 juin au 30 juillet.
Un catalogue retrace l’exposition collective, Bourse du talent , editions Delpire.
Festival Circulation(s) au Centquatre jusqu’au 6 mai
http://www.charlottemano.com